Friday, October 17, 2014

Pas facile d'embourgeoiser le Panier

Pari réussi pour Marseille, les touristes affluent dans ce qu'il convient d'appeler le Montmartre phocéen. Avec ses larges escaliers, ses ruelles étroites et ses maisons pittoresques, le Panier a tout pour faire une belle carte postale. Pourtant, cette image du plus vieux quartier de Marseille, n'est pas complètement authentique.

Des croisiéristes italiens, reconnaissables à leur numéro plastronné sur leurs vestes, descendent enchantés la montée des Accoules. Ils seront vraisemblablement plus d'un million en 2014, à emprunter un circuit qui les mènera au Vieux Port en passant par le Panier. De nombreux commerçants et artistes se sont installés dans ce village en plein cœur de Marseille. Un fabricant de santons, un parfumier, des boutiques de souvenir, une pléiade de restaurants. Chacun de ses commerces s'est approprié le nom du quartier pour faire accourir les chalands : le Panier des Créateurs, la Terrasse du Panier ou encore le Panier marseillais. Les riverains se plaignent d'avoir à se frayer un chemin parmi les vacanciers pour regagner leur logis, ou d'attendre de longues minutes devant la boulangerie dans une queue interminable.

Lisa Deck a installé sa galerie il y a 8 mois aux Accoules. Elle a su s'intégrer à cet îlot du 2ème arrondissement. « Ce quartier inspire beaucoup d'artistes. Avec Marseille capitale de la culture, ils sont arrivés en nombre. Puis la fréquentation s'est atténuée et quelques uns sont partis. Les habitants sont venus voir ce que je faisais. Il y a un respect mutuel » décrit la sculptrice. Cette créatrice fait partie de ces nouvelles têtes fraîchement débarquées. Elles se distinguent de la population traditionnellement populaire du quartier, car au Panier, n'est plus locataire (ou propriétaire) qui veut. Rénovation, réhabilitation ou restauration sont passées par ici. On devine difficilement la silhouette d'un ancien moulin sur une place pourtant éponyme ; il a désormais l'aspect d'une maison. Franck qui a grandit dans le coin, surnomme ironiquement la Place des Moulins, « le côté VIP ». Patou Rahal, présidente du comité inter-quartier déplore une multiplication par dix des loyers sur les trente dernières années. Entre 2630 et 2930€ au mètre carré, le Panier n'est plus très loin des prix pratiqués dans les endroits les plus prisés de Marseille.

Un employé municipal attaché à ce lieu confie à une passante. « Ça m'étonne tout le temps de voir autant de gens prendre des photos. Il y a vingt, trente ans, c'était vide, personne ne venait par ici ». Retour plusieurs décennies en arrière. Jean-Noël Guerini est alors maire de la cité phocéenne. Le Panier traîne une très mauvaise réputation. Au cœur de trafics en tout genre, peu de marseillais ne souhaitent s' y installer. Les commerçants se plaignent. Alors, la mairie tâche d'encourager le repeuplement du quartier. Les loyers relativement bas, amènent des personnes de tous horizons à s'établir. C'est à partir de ce moment qu'un « esprit de village », encore perceptible, s'est développé. Avec l'embellissement du Panier, de plus en plus de riverains ont dû quitter leurs logements, les loyers ayant bondi. D'autres, ont préféré vendre leurs biens pour acheter ailleurs. Partout on parle de « mutation » avec un « embourgeoisement » de la population du quartier.

Pourtant, le remplacement est loin d'avoir eu lieu. « Vous avez vu nos petites rues, quand on ouvre les volets le matin, forcément il faut dire bonjour au voisin d'en face » remarque Patou. Elle énumère quelques pratiques, que les nouveaux arrivant n'avaient pas envisagé. Le quartier est loin d'avoir terminé sa cure de jouvence « Il nous reste quelques friches du côté de Baussenque. Il nous faut souvent appeler les services municipaux pour dératiser. Même s'il y a des caméras, ça n'empêche pas quelques uns de déposer leurs déchets n'importe où » poursuit la présidente du comité inter-quartier. Ainsi la promesse des promoteurs du Montmartre marseillais n'est pas (encore) tout à fait tenue. Le Panier, par conséquent, observe une mixité sociale hors du commun. Un lien tâche de se créer entre des individus ayant pour seul point commun leur lieu de vie. Des repas de quartier sont organisés. Les rendez-vous au cours desquels la population du Panier se rencontre, se multiplient. Quelques associations favorisent les rapports sociaux tel que le centre Baussenque.

Manifestement, le Panier fait de la résistance, mais pour combien de temps encore ? Il y a fort à parier qu'un jour ou l'autre, s'achève la transformation de ce rectangle, coincé entre la cathédrale de la Major, le quartier de la Joliette et le Vieux Port. Si ce détail passera inaperçu auprès des touristes. Ceux qui chercheront à connaître ce lieu constateront la perte de son identité si particulière.

Florent BASCOUL

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